Chapitre 17 : Et maintenant
Le « Vieux Puits » est le plus ancien café de Port-Navalo. Certains l’appellent encore « Chez Léa » du nom de la très vieille dame qui exploita pendant longtemps ce bar, tabac, vente de journaux, passé aujourd’hui sous l’autorité taciturne de Fred. Il est situé sur la corniche devant la « petite cale », en plein cœur du vieux port. A ses côtés l’ancienne boucherie « Couplé » a été transformée par le fils, Alain, en bar. Il porte désormais le nom de « Nausicaa » et mélange ses tables à celles de son voisin. Pour profiter de la vue sur le ballet incessant des bateaux qui sortent ou entrent dans le Golfe, il faut s’asseoir à l’une des tables installées de l’autre côté de la route, le long du muret qui surplombe la côte. Spectacle dont on ne se lasse pas, sauf lorsqu’un vent frisquet oblige à chercher refuge plus près des maisons. Cet endroit est sans conteste le plus authentique de la commune, celui qui a subi le moins d’« aménagements » touristiques. La petite cale qui se blottit au pied du mur de la corniche n’a pas changé depuis le temps où Alexandre Dumas en faisait partir d’Artagnan à la rencontre du masque de fer enfermé à Belle Ile (le Vicomte de Bragelonne).
C’est à l’une des tables de ces deux café-bars que se retrouvent ceux qui restent des anciens de la bande de Port-Navalo. La bande a perdu beaucoup de ses membres. Seuls sont restés ceux qui ont pu sauvegarder leur patrimoine familial, ce qui était loin d’être évident tant les prix (et donc les droits de succession) se sont rapprochés de ceux de la côte d’Azur. Ils ont été complétés par de nouveaux arrivants, pour la plupart d’anciens cadres aisés qui ont pu offrir comme écrin à leur retraite une des jolies maisons locales. Ils sont tombés sous le charme des lieux et ont profité de l’esprit d’ouverture de la communauté pour s’y intégrer. Certains viennent tous les midis d’été se raconter les derniers épisodes de leur vie. D’autres ne s’assoient que le vendredi à la fin du marché. Moi je préfère les débuts de soirée, lorsque le soleil déclinant commence à teinter de rose les voiles et les façades blanches des maisons.
Devant mon kir traditionnel je pense à l’écriture du dernier chapitre de cette chronique et me demande si j’ai atteint mon objectif. Je voulais, en racontant cette histoire, montrer à quel point nos destinées entre natifs et estivants ont été et sont toujours étroitement liées. Quelles ont été les racines humaines qui, au delà des murs et des paysages, ont généré la symbiose qui fait d’Arzon une commune où se mélangent les esprits de clocher et d’accueil. L’an dernier, lors de l’assemblée Générale des Amis de Port Navalo, le maire a laissé entendre qu’être né ici lui conférait une légitimité particulière, oubliant de rappeler que c’est à la ville qu’il avait fait sa carrière professionnelle, acquis l’expérience et les compétences qui l’ont porté à son fauteuil. En l’entendant j’ai eu envie de porter une autre voix, celle d’un enfant qui était à sa façon lui aussi du pays sans y être né. Une histoire qui ressemble de près ou de loin aux milliers d’autres qu’ont vécues les nouveaux arrivants et dont personne ne peut revendiquer la paternité exclusive. L’association n’a-t-elle pas été créée justement pour développer ce lien et se faire entendre ?
En s’installant massivement dans la commune, la génération du baby boum a matérialisé ses rêves de bien vivre à l’abri des turpitudes du monde du travail. Le temps faisant son œuvre, cette génération a transformé Arzon en une sorte de grand « retraitorium » qui se dissimule au milieu des touristes plus jeunes l’été, mais qui assure une présence quotidienne bien visible pendant l’hiver. Les choses de la nature étant ce qu’elles sont, elle va peu à peu passer la main.
C’est pourtant sur cette génération que doivent s’appuyer nos élus pour impulser un avenir à notre pays. Ils sont confrontés à la même équation que Lecoq en son temps. Le laisser s’endormir loin de la marche du monde ou investir pour créer des emplois et répondre aux aspirations de la jeunesse. C’est cette deuxième option qu’ils ont choisie, reprenant le flambeau de ceux qui les ont précédés. Les chantiers susceptibles de faire grincer quelques dents d’autochtones ou d’estivants, voire de les opposer, ne manqueront pas. Cette chronique m’a semblé un bon moyen de montrer que l’amour et la défense du pays ne sont pas une affaire de lieu de naissance.
Après avoir rêvassé ainsi, et surtout terminé mon kir, je retournerai avec mon épouse à la maison pour profiter de la fin du jour. Jolanta contemplera l’étang qui lui rappelle les lacs de sa Pologne natale. Elle qui est venue il y a peu rejoindre la longue liste de ceux qui sont tombés sous le charme des lieux et qui n’a de cesse de puiser dans son imaginaire pour l’embellir encore. Si nous avons de la chance il fera beau ce jour là. Le vent solaire nous caressera doucement de ses dernières risées avant la nuit. Nous regarderons le Moulin se parer de l’habit d’or que le soleil lui offre lorsqu’il se couche. Un Moulin vidé de ses entrailles mais toujours solide à son poste de symbole historique de la commune. Sentinelle immuable, témoin amusé de l’agitation des hommes, porteur d’un message complice pour nous dire de ne pas nous inquiéter, il sera toujours là.
Stéphane Manier
Stéphane sera présent au Vide - Grenier des Amis de Port-Navalo le dimanche 10 juillet au stand "Art-Navalo", pour commenter cette rubrique, répondre aux questions , partager les souvenirs qu'elle a fait réssurgir .
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