L’attente studieuse des chantiers navals du golfe du Morbihan
À Arzon (56), le chantier du Redo a repris le travail en protégeant ses salariés. (Photo Loïc Berthy)
Un insolent soleil nargue les plaisanciers. Habituellement, avril, c’est l’effervescence de la préparation de saison mais le temps a suspendu son vol. Chaque chantier naval affronte la période différemment.
Depuis bien longtemps, les huîtres du golfe du Morbihan n’ont pas poussé aussi tranquillement. Le Covid 19 a figé le décor : pas un bateau sur l’eau, malgré la proximité du plus grand port de plaisance de Bretagne. Les chantiers navals s’adaptent. Il y a ceux qui ont fermé uniquement au public, comme le chantier Caudard de Vannes. « Nous avions rentré pas mal de bateaux cet hiver », explique Charles Caudard. « On travaille au ralenti, dans la sinistrose ambiante, avec une partie de chômage partiel pour les huit salariés ».
« On a revu notre organisation, avec des embauches décalées »
Il y a ceux qui ont récemment repris le travail. Fermé dès le 16 mars pour mettre ses salariés en sécurité, le chantier Infinity à Baden a commencé le confinement avec une annulation de vente d’un bateau neuf. « 2020 s’annonçait comme une très bonne année », constate Éric Lanoé. Fin avril, son retard de chiffre d’affaires devrait atteindre un mois plein. « On espère que c’est juste un report ». Mais rattraper la manutention de 150 bateaux sera difficile… D’autant qu’il faut jouer avec les marées et que 150 bateaux sont programmés en mai ! Pour tenter de préserver l’avenir, les salariés ont repris après 15 jours d’arrêt. « On a revu notre organisation, avec des embauches décalées pour être seul au vestiaire, du travail en autonomie… »
Les chantiers privilégient les travaux que les salariés peuvent mener seuls. (Le Télégramme/Loïc Berthy)
Même son de cloche à Arzon. « On a créé une sorte de charte de sécurité », précise Éric Martin, patron du chantier du Redo, qui pensait ne fermer qu’au public. « Mais je suis une personne à risques et j’ai discuté avec une amie qui travaille à l’accueil des patients covid à l’hôpital de Vannes… On a fermé dès le midi et maintenu le lien par les réseaux ». Des télé-apéros a émergé l’idée de reprendre. Depuis lundi, avec une visière, les salariés ne font que des travaux où ils sont seuls : carénage, peinture intérieure, mécanique… Pas de démâtage, de déquillage, de remontage d’accastillage. Sans rentrée d’argent, le chantier a négocié la suspension de ses prêts.
Navigation à vue
Et il y a ceux encore fermés comme le chantier du Guip à l’île aux Moines, qui a en plus la contrainte des liaisons avec le continent pour quatre des six salariés. « Je suis confiné au travail, seul », explique Frédéric Bouge, le directeur, occupé par la paperasse, l’entretien des machines, la gestion des stocks. « On réfléchit à un protocole pour reprendre d’ici quatre à 15 jours. Avec Brest, on est suffisamment gros pour tenir un peu, mais on navigue à vue ».
Philosophes, tous vivent une forme de calme avant la tempête. « Il y aura les gens compréhensifs et les capricieux de première. Ça va être compliqué », confie Éric Martin.